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Echos et boniments
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8 mai 2007

Un flou ?

Voici un étrange texte que je viens de retrouver dans le grenier de tonton Maurice. Il raconte cette histoire d'Indien, Bapu Saheb, par la voix d'un certain marquis de Bellegueuse. Je crois que c'était le grand-père du soigneur médecin de Tonton. Étrange. ce n'est pas la même version que celle de Guy de Maupassant et le style paraît pourtant d'époque... J'en livre ici le début, la suite zst en fichier en dessous...

Un flou ?

« Ce fut dans Etretat, au jour levant, une indescriptible émotion. Les uns prétendaient qu'on avait brûlé un vivant, les autres qu'on avait voulu cacher un crime... »

Guy de Maupassant, Le Bûcher, 1884

    Un jour pâle se levait lentement. C'était un de ces levers de soleil d'été qui portent le coeur à la tendresse, un de ces réveils de la nature où la vie palpite dans toute la profondeur de l'air. L'assemblée des femmes était restée dans la salle à manger de la villa, dévastée par une nuit sans trêve. La fête avait été grandiose, l'une de ces fêtes dont les corps se souviennent longtemps mais que les esprits ont oubliés dans les excès de libations. Les hommes, assis ou à cheval sur les chaises du jardin, fumaient, devant la porte, en cercle autour d'une table ronde chargée de bouteilles d'absinthes et de verres vides. On essayait de parler de rencontres troublantes et chacun en avait raconté d'étranges ou d'insolites. L'hôte de la maison, le marquis de Bellegueuse, quatre-vingt trois ans, s'était assoupi la tête en arrière sur le dossier d'une chaise cannelée au moment d'entamer un récit galant

    - Cristi ! voulut conclure le père Leborgnuc, ancien curé défroqué de la paroisse, je suis vieux, certes, j'ai la goutte jusqu'au bout des ongles, un oeil qui regarde vers Le Havre et l'autre à Fécamp, les jambes raides comme les bois d'une vieille ferme, et cependant, si une jolie femme m'ordonnait de monter jusqu'au faîte du toit de cette église – il désignait le clocher de l'église du village de Turgetôt où on avait passé la nuit- j'y grimperais comme un acrobate de douze ans. Je suis un vieux galantin moi, un vieux de la vieille école ! La vue d'une femme me remue jusqu'à la moelle de mes os arthritiques. Oh ! Le joli, le joli, joli spectacle, cristi de cristi !

    Monsieur Pommel du Boys de Voultre, resté jusque là silencieux, se pencha en arrière sur sa chaise en baillant. Il avisa alors un petit panneau peint qui reposait au milieu des reliquats de la nuit jonchant le seuil de la porte. Il le ramassa. Le marquis de Bellegueuse ouvrit alors un œil. M. Pommel considéra silencieusement l'étrange icône, une huile qui semblait encore une esquisse. C'était la représentation d'une étrange scène nocturne, sur la plage d'Étretat. On voyait au fond la longue falaise d'aval longue et toute noire, terminée par la porte dont la base plongeait dans l'océan et l'aiguille de craie qui se dressait derrière elle comme une silhouette fantôme. Au premier plan, une dizaine de personnes étaient rassemblés à quelques mètres d'un feu vif allumé sur les galets, alimenté par ce qui semblait être un bûcher à la base assez large. A gauche, une flamme gigantesque venait lécher vigoureusement la paroi de la falaise d'amont. Poussée par le vent, elle dessinait un large C qui revenait jusqu'au dessus des têtes des personnages, dont certains s'étaient assis, d'autres restaient accroupis. L'un d'eux avait les bras en l'air comme dans un geste de panique ou d'invocation, un autre touchait la base du bûcher avec un bâton, certainement pour l'attiser.

    - Il vous intrigue ce petit dessin, n'est-ce pas ?

    Le marquis de Bellegueuse avait ouvert son autre oeil et prononcé ces paroles d'une voix un peu éraillée mais assurée. Il était de ces vieux noceur qu'un somme d'un quart d'heure suffit à remonter comme une vieille horloge. Le marquis était le médecin de Turgetôt, un hobereaux privé des terres ancestrales par la Révolution et qui avait trouvé refuge dans l'exercice aussi estimable que mystérieux de la médecine pour des villageois qui le respectaient, substituant l'autorité de la science à la gloire de sa noblesse déchue. Il s'était redressé. Son regard avait repris la vigueur de celui d'un communiant devant un collège de jeunes filles. Pourtant, l'image que regardait Monsieur Pommel n'avait rien de canaille.

    - Eh bien, puisque nous parlions de rencontres mémorables, ce petit tableau peint par un ami anglais qui s'appelait Henry Ham m'en rappelle une que j'ai faite il y a bien longtemps, et qui pourtant reste parmi les plus singulières que j'eusse jamais vécues.

    - Racontez-nous marquis ! S'exclamèrent en coeur quatre femmes tout en cheveux qui avaient passé leurs têtes charmantes dans l'encadrement de la fenêtre.

    - Oh... vous allez être déçues mes chères enfants, répondit le marquis en se tournant vers elles, car cette rencontre ne fut pas celle d'une femme, mais bien celle d'un homme. Et quel homme !

    - Marquis... je ne savais pas... se risqua la petite Justine Bécasse, une jeune parisienne.

    - Non, ma douce amie, ce n'est pas ce que vous croyez. Mais vous trouverez néanmoins quelque intérêt à cette anecdote quand je vous aurais dépeint le personnage exceptionnel et même troublant qui figure sur ce petit tableau car ce fut le plus fieffé coquin que j'eusse jamais rencontré.

    - Ah ? Et lequel est-ce ? demanda monsieur Pommel du Boys de Voultre qui scrutait maintenant l'image dans le verre de son monocle avec une curiosité redoublée, cherchant dans les personnages celui qui pouvait se distinguer des autres par quelque singularité que le peintre aurait pu indiquer dans un détail.

    Ménageant son effet, le marquis prit le temps de ranimer sa bouffarde et répondit tranquillement, le sommet du visage enfumé, un sourire au coin des lèvres.

    - Celui qui brûle...

(à suivre... là  : Un_Flou )

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  • Blogue d'Hugues Lalouette, journaliste d'investigation normand, personnage involontaire des récits policiers de Robert Vincent et chroniqueur officiel des "Dames mortes" et autres œuvres de l'auteur bicéphale.
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