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Echos et boniments
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1 septembre 2017

Hémérastéroïde : à l'arrivée de l'astéroïde du jour les astronomes gardent leur sang-froid.

2012TC4 frôlera la Terre en octobre 2017. Sciences et avenir titre : "Un petit astéroïde va passer tout près de la terre en octobre" ; BFMTV, plus dramatique : "Un astéroïde va bientôt frôler la Terre". Comme c'est mou, comme c'est plat. Le XIXe siècle, du moins dans sa composante romanesque, voyait l'événement avec plus de grandeur et, partant, d'émotion. En témoignent ces pages, tirées du merveilleux ouvrage de Rodolphe Toepffer (1799-1846) : Voyages et aventures du Docteur Festus, 1840.

( Projeté dans l'espace par les ailes d'un moulin soumis à un ouragan, le docteur Festus est pris pour un nouveau corps céleste par l'astronome sir John Guignard.)

VII


   Pendant que ces choses se passaient, Guignard, resté chez lui, ne perdait pas de vue son astre, dans lequel il croyait remarquer des modifications éminemment inquiétantes. Les choses en vinrent au point qu'il crut de son devoir de convoquer la Société Royale pour le jour même. Il quitta donc un moment le télescope, pour aller hâter cette convocation. Son visage était déjà tellement altéré par l'angoisse, que Madame Guignard l'inonda de vinaigre des quatre voleurs ; mais il ne fut soulagé que par des évacuations qui survinrent.

   Il s'était en effet opéré de grands changements dans la situation du docteur Fessus. Au moment où était tombé de sa tête le chapeau qui avait été si fatal à la commune, l'équilibre d'attraction avait été rompu, et le docteur avait commencé à paraboler vers notre terre. C'est ce qui avait provoqué les inquiétudes de Guignard, qui prévoyait un choc imminent ; car, ayant calculé la marche de sa comète opaque, il s'était convaincu qu'avant vingt-cinq ans révolus, elle tomberait sur sa tête, ou sur celle de ses descendants. A la vérité, n'ayant pas d'enfants, il s'inquiétait peu de ses descendants, mais il n'en tremblait que davantage pour lui-même.

   Le docteur Festus, pendant que Guignard convoquait, avait continué de paraboles avec une vitesse qui croissait comme le quarré des distances diminuait. Déjà il distinguait les montagnes, puis les prairies, les clochers, les bestiaux, les bourgeois, enfin le télescope, dans lequel il vint plonger comme une grenouille dans un puits. Par bonheur l'instrument qui était, suspendu à deux bras mobiles de trente pieds de haut, bascula mollement ; de manière que la force de projection s'anéantissant contre une surface qui cédait, le docteur se trouva, sain et sauf, appliqué contre la grosse lentille du milieu, à peu près comme une salamandre contre les parois d'un bocal.

VIII

 

   Guignard, après avoir donné ses ordres, revint au télescope, pour juger des progrès de sa comète opaque. A peine eut-il aperçu le corps blafard et indistinct, qu'il tomba à la renverse, en criant : Holà ! eh ! ah ! aie ! hoé ! hui ! haü ! sur quoi sa femme accourut avec une tasse de camomille, en maudissant ce télescope, qui était la cause de tous les malaises de son mari. Sir John Guignard but la camomille ; mais n'osant remettre l'oeil au télescope, il engagea sa femme à le faire pendant qu'il s'éloignait à dix pas, tout tremblant et regardant si, au besoin, il y aurait un abri. Madame Guignard regarda , et lui dit qu'il n'était qu'un poltron , que le verre était sale, et voilà tout. Sur quoi Guignard lui dit : Ah ! Sara, que vous êtes heureuse d'être ignorante.

Dans ce moment, on vint prévenir Guignard que la Société Royale l'attendait au complet. Il s'y rendit aussitôt, sans chapeau, sans perruque, en robe du matin, et avec tous les signes d'un grand désordre physique et moral.

 

IX

 

  Guignard étant extraordinairement ému, et de plus très essoufflé, ne put de long-temps rien articuler ; en sorte qu'il était réduit à gesticuler. Il montrait du doigt le plafond, puis le rabaissait vers la terre, puis des deux mains figurait un choc, puis il recommençait ; jusqu'à ce que cette pantomime, ayant excité l'hilarité de l'assemblée, il s'ensuivit un rire universel si éclatant, que la maison en vibrait sensiblement, et que Guignard ravalait des lobes énormes de bile aigrie. A la fin ayant retrouvé son souffle : Riez, Messieurs ; leur cria-t-il, la comète opaque n'est plus qu'à six millions de lieues ! Riez bien ! Elle fait vingt lieues par seconde ! Riez donc ! Notre planète va être anéantie ! Riez à présent ! ! !

   Pendant que Guignard parlait ainsi, les savants consternés de peur et saisis d'un mal de ventre aigu, s'étaient levés comme un seul homme pour aller faire leur testament. Dans leur empressement ils culbutaient parmi les chaises, et les plus forts enjambaient leurs collègues indignés, pendant qu'ils étaient eux-mêmes enjambés par d'autres collègues, effrayés de se voir les derniers. Il en résultait une telle presse à la porte, que plusieurs en sortirent aussi aplatis qu'une jonquille d'un herbier, et que tous y laissèrent leur perruque et leurs pans d'habit, entr'autres, Lunard et Nébulard, qui avaient provisoirement abandonné leur hypothèse ; en sorte que Guignard avait réellement du dessus.

Rodolphe Toepffer, Voyages et aventures du Docteur Festus, Livre Cinquième, pp. 90-93, édition 10/18, n°110,1963.

Toepffer sir John Guignard

Sur Toepffer ou Töpffer, inventeur de la bande dessinée : http://www.topfferiana.fr/2013/02/tout-topffer-ou-presque-en-numerique/

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  • Blogue d'Hugues Lalouette, journaliste d'investigation normand, personnage involontaire des récits policiers de Robert Vincent et chroniqueur officiel des "Dames mortes" et autres œuvres de l'auteur bicéphale.
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