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Echos et boniments
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29 avril 2007

Feu le maharadja

Avez-vous jamais visité L'Hostellerie des Vieux Plats de Gonneville-la-Mallet, entre le Havre et Etretat ? Je dis bien "visiter" car on y entre ici comme dans un musée. Un musée au sens ancien d'abord : un lieu consacré aux muses par sa richesse ornementale, qui a reçu nombre d'illustres visiteurs parmi d'autres tombés dans l'oubli, venus chercher inspiration, gîte et couvert dans ce cadre unique. En témoigne le livre d'or de la maison où se cotoient les signatures de grands noms des lettres depuis 1863. Parmi eux, Maurice Leblanc, Guy de Maupassant. Et bien d'autres, hommes politiques, des finances, des arts et du spectacle, célébrités locales et d'ailleurs, certainement conviées par les premières à honorer ce lieu insolite de leur présence. D'extérieur, le bâtiment est déjà extraordinaire : une bâtisse, ancien relais de diligence au revêtement grisâtre qui aurait fait figure austère sur la grand place du marché s'il n'avait été décoré sur toute sa façade d'assiettes et de plats en faïence incrustés dans la maçonnerie ainsi que de personnages normands en moulure qu'on peut distinguer au niveau du deuxième étage. Une curiosité qui aurait pu tendre vers une dérive de style facteur cheval normand si cette tendance n'avait été heureusement restreinte à cette façade et à l'étrange descente vers la cave incrustée de coquillages.

Quand on pénètre à l'intérieur, il faut alors s'attendre à une plongée dans un passé resté figé, incrusté aussi dans les murs, et c'est un musée d'art et d'histoire qui se découvre alors au regard stupéfait du visiteur. Lucette Aubourg, petite fille du fondateur Edmond Honoré, y reçoit toujours, sur demande ou  les mercredis en saisons quand le café reprend vie avec des clients qui l'animent comme à la grande époque. Des "touilleux" y frottent encore leurs dominos au milieu d'autres habitués qui sirotent une liqueur dans des petits verres ou un café mais aussi des touristes stupéfaits par ce voyage dans le temps, gênés d'entrer ici en tongs et shorts pour demander un Coca Cola. Lucette ne se formalise pas, elle reçoit tous ses gens sans distinction, avec chaleur et respect, assise derrière son immense comptoir en bois, vieux coffre à avoine qui fait fonction de bar et de caisse. De là, elle semble une maîtresse un peu intimidante trônant de la hauteur de son estrade sur une classe de grands enfants qui n'osent parler fort, venus lire une leçon d'histoire locale sur les murs de la grande salle rectangulaire. Ceux-ci sont lambrissés de portes d'armoires normandes sur lesquels nombre d'artistes ont peint leur hommage à la région, ou illustré telle anecdote. La salle s'orne aussi d'un mobilier d'époque, chandeliers, tableaux, tables en bois ciré, patinées par les socles de verres ou les dominos de centaines de clients depuis la seconde moitié du XIXe siècle. 

C'est ainsi qu'on découvrira sur l'un de ces panneaux la représentation d'une étrange scène : on y voit sur fond de porte et aiguille d'Etretat quelques personnages en redingote à quelques mètres d'un feu vif allumé sur les galets, feu alimenté par ce qui semble être un bûcher assez large. Les flammes viennent lécher la paroi de la falaise d'amont. Poussées par le vent, elles dessinent un large C qui revient jusqu'au dessus des têtes des personnages, dont certains sont assis ou accroupis. L'un d'eux a les bras en l'air dans un geste de panique ou d'invocation, un autre touche la base du bûcher avec un bâton. Au premier plan, à gauche, on distingue deux récipients certainement en métal, l'un debout, l'autre couché. Barbecue d'époque ? Avertissement aux navires ou manoeuvre pour les faire s'échouer sur la grève fomentée par quelques pirates locaux ? Feux de la Saint Jean marin ? Non, comme le rapporte l'ouvrage de Lucette Aubourg, qu'elle vend et dédicace gracieusement derrière son comptoir, il s'agit de l'incinération du Maharadja Bapu Saheb Ghatjay qui eut lieu en septembre 1884. Une vingtaine de personnes assistèrent à la cérémonie, dont Maupassant et l'artiste Henry Bacon qui fixa cette scène sur l'un des panneaux de l'Hostellerie. L'un des récipients représentés devait contenir de la terre que le Prince Sampatras, parent du défunt, jeta sur le foyer qui s'anima encore davantage sous l'effet du vent. Le Prince avait demandé par télégramme une autorisation préfectorale pour cette incinération particulière dont la réponse, négative, ne parvint que le lendemain matin. Trop tard, les cendres de Bapu Saheb s'étaient déjà confondues avec les galets.

A voir : L'Hostellerie des Vieux Plats, 76280, Gonneville-La-Mallet

A lire : Lucette Aubourg, L'Hostellerie des Vieux Plats, Le rendez-vous des célébrités, deux tomes aux Editions Bertout, "La mémoire normande", 2004 disponible à l'Auberge de Gonneville aux heures d'ouverture (se renseigner par téléphone avant) ou dans cette librairie.

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  • Blogue d'Hugues Lalouette, journaliste d'investigation normand, personnage involontaire des récits policiers de Robert Vincent et chroniqueur officiel des "Dames mortes" et autres œuvres de l'auteur bicéphale.
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